Les difficultés d'évaluation des actions de préférence en Droit OHADA.

2018-12-07 03:41:00.0

« Les investisseurs en ont réclamé, les juristes leur en ont offert, mais les actions de préférence se sont révélées comme de véritables « patates chaudes » entre les mains des financiers et des fiscalistes. A la complexité de la détermination de la valeur de l?entreprise, vient se greffer celle de la valeur qu'il convient de donner à des titres sociaux dont les prérogatives financières et politiques sont foncièrement hétérogènes. La question est toute simple : faut-il attribuer la même valeur aux « actions ordinaires » qu?aux actions de préférence ? Telle est la problématique que nous comptons exposer après avoir fait une présentation des droits et avantages pratiques (surtout pour l?industrie du private-équity) que confèrent les actions de préférence »

Compte tenu de la nouveauté de ces titres financiers dans l’espace OHADA, il nous semble, tout d’abord, important de préciser les droits qu’ils confèrent (I) de même que les nombreux atouts qu’ils présentent sur le plan pratique (II) avant d’aborder la problématique de leur valorisation (III).

 

  1. Les prérogatives que confèrent les actions de préférence

 Précisons tout d’abord que seules les S.A et les S.A.S peuvent émettre des actions de préférence sur décision de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires (AUDSC-GIE Art. 778-2). Cette décision est précédée du rapport du commissaire aux avantages particuliers (commissaire aux comptes) qui exposent à l’attention des actionnaires les caractéristiques propres des actions de préférence à émettre (Art. 778-3) Cela dit, les dispositions de l’article 778-1 semblent permettre :

  1. Une augmentation de droits pécuniaires ou extra-pécuniaires. Sous ce rapport la palette des droits susceptibles d’être augmentés est fonction de la créativité des praticiens et des besoins de l’investisseur. Ces quels que exemples non exhaustifs donnent un aperçu du champ des possibilités:
  • dividendes préciputaires, c’est à dire distribués prioritairement aux détenteurs d’actions de préférence avant tous autres actionnaires,
  • dividendes cumulatifs (le montant des dividendes non versés lors d’un exercice déficitaire peut-être cumulé avec les dividendes payés au cours des exercices ultérieurs)
  • dividendes majorés (30% du capital ouvrent droit à 45 % des bénéfices, cela pour permettre à un investisseur financier de doper son taux de rentabilité durant la période d’investissement)
  • droits pécuniaires augmentés "hors dividende" (boni de liquidation, droit sur les réserves, garanties ou prêts consentis par la société…).
  • S'agissant des droits extra-pécuniaires, il peut s'agir du droit de vote double, du droit à l'information privilégiée et rapprochée (reporting trimestriel, clause d’audit…), d’une dispense d'agrément ou de préemption….

 

  1. Une réduction des droits pécuniaires ou extra-pécuniaires. De notre point de vue cette réduction ne peut s'envisager que si en contrepartie, des droits sont créés ou augmentés sur un autre plan. Il en est ainsi d’une action au droit de vote suspendu ou supprimé en contrepartie de dividendes préciputaires et majorés. La réduction de droits, hors droits de vote, peut concerner les droits pécuniaires notamment des obligations particulières liées à la cession des droits: agrément, préemption, instauration d'une clause de subordination du remboursement du nominal…

 

  1. Une modulation de la durée des droits réduits ou augmentés. Le texte de l'article 778-1 prévoit que les droits particuliers de toute nature sont attribués à titre temporaire ou permanent ce qui laisse à la société une très grande marge en terme d’aménagement des droits pécuniaires et extra-pécuniaires. Exemple: Attraire des fonds propres par un dividende majoré et préciputaire sur une période de 5 ans et assorti d’une suppression du droit de vote (intéressant pour un capital-investisseur). Toutefois dans ce cas d’espèce, la question est de savoir si au terme de la période de référence les actions redeviennent des actions ordinaires ? Selon nous, les actions de préférence à la différence des avantages particuliers, consentis intuitu personae, sont transmises au cessionnaire avec tous leurs accessoires quand bien même elles seraient soumises à la procédure des avantages particuliers. Par conséquent elles devraient conserver toutes leurs caractéristiques en dépit de l’arrivée d’un terme initialement prévu ou de leur cession à un tiers.  

 

Les seules limites fixées aux actions de préférence sont:

  • l'interdiction des clauses léonines (attribuer tous les dividendes à un actionnaire ou lui en priver entièrement. Faire supporter toute la perte à un seul actionnaire ou lui en dispenser totalement)
  • Le quantum des actions dépourvues de droit de vote (50% au plus pour les sociétés non côtées et 25% pour les sociétés admises à la côte officielle d'une bourse)
  • L'intangibilité du droit de participation (l'actionnaire doit pouvoir au moins participer aux assemblées et recevoir l'information légale quand bien même son droit serait suspendu ou supprimé).
  • L’interdiction de verser des dividendes fictifs (absence de bénéfices distribuables lors d’un exercice)
  • L’obligation d’une préférence : Il ne semble pas admissible, de notre point de vue, de dépouiller un actionnaire de tout ou partie de ses droits pécuniaires et politiques. Des avantages préférentiels doivent lui être octroyés en contrepartie d’une privation de droits sur un autre plan.
  1. Intérêts pratiques des actions de préférence

  Plusieurs avantages sont à relever pour la société. D’abord en émettant de tels titres financiers amputés des droits de vote, la société se pourvoit en fonds propres nécessaires à la réalisation de ses projets de développement sans compromettre l’équilibre des pouvoirs de décision au sein des assemblées générales d’actionnaires (ce qui est de nature à encourager les dirigeants de PME africaines qui craignent souvent une perte de contrôle de leur entreprise). C’est aussi un excellent mécanisme permettant de faire entrer des opérateurs en capital-investissement dans le capital d’une société. En effet, pour faire face à leur statut d’actionnaires souvent minoritaires, ces investisseurs négocient au moment de leur prise de participation certains avantages, notamment la délivrance d’informations privilégiées et rapprochées, un droit de véto sur certaines décisions importantes, un siège au sein des organes direction…. L’intérêt de prévoir ces avantages spécifiques dans ces actions et donc dans les statuts est de les rendre opposables erga omnes (à tous), contrairement aux pactes d’actionnaires dont les stipulations ne peuvent être opposées qu’aux parties qui les ont souscrites (même si pour des raisons de confidentialité, les pactes d’actionnaires peuvent avoir un intérêt évident). Enfin ces actions de préférence sont un bon moyen de défense anti OPA[1] dans la mesure où il est possible d’émettre un « capital muet » (sans droit de vote). Or les initiateurs d’une OPA sont plutôt intéressés par le capital donnant accès au droit de vote en vue d’évincer les dirigeants et de mettre en œuvre leur propre système de gouvernance. Inversement le moyen de défense peut également consister à octroyer aux actionnaires réputés les plus fidèles des actions à droit de vote double (S.A) ou multiple (S.A.S).

 

  • La problématique liée à la valorisation des actions de préférence

 En dépit de leurs nombreux avantages, les actions de préférence posent de véritables problèmes d'évaluation au plan patrimonial et fiscal. La question est de savoir  s'il est pertinent d'attribuer la même valeur aux actions ordinaires qu’aux actions de préférence?

Classiquement, dans les sociétés non cotées, pour déterminer la valeur d'une action, il suffit de diviser la valeur globale de l'entreprise par le nombre d'actions composant le capital. Mais cela suppose que les actions soient homogènes et comparables quant aux droits pécuniaires et politiques qu'elles offrent, ce qui n'est pas le cas des actions de préférence. Certaines règles traditionnelles du droit des sociétés comme celle de la proportionnalité s'en trouve profondément bouleverser. Peut-on soutenir valablement qu'en détenant 55% du capital d'une S.A, on en détient par conséquent toute la puissance financière et politique en présence d'actions de préférence octroyant des droits particuliers majorés?

Une action à droit de vote simple dotée d'un dividende préciputaire a-t-elle la même valeur qu'une action à droit de vote double mais à dividende subordonné? Une action à dividende majoré et préciputaire avec un droit de vote suspendu ou supprimé a-t-elle la même valeur qu'une action ordinaire?

Il est vrai qu'il pourrait venir à l'esprit de certains de soutenir que pour valoriser les actions quelles qu'elles  soient, il suffit de s'en référer uniquement aux droits pécuniaires mathématiquement évaluables, abstraction faite de la valorisation des droits extra-pécuniaires qui conformément à l'orthodoxie juridique ne sont pas susceptibles d'une évaluation pécuniaire. Une telle conclusion serait inappropriée de notre point de vue, car il serait inconséquent d'affirmer que des droits qui confèrent le pouvoir de définir les orientations stratégiques d'une entreprise, celui de pouvoir décider de la distribution ou de la mise en réserve des bénéfices d'un exercice, celui de pouvoir décider de la fusion, de la cession d’une branche d’activité…. sont dépourvus de valeur.

D'autres encore pourraient proposer de s'en référer à la valeur nominale du titre, mais nous estimons qu'une telle approche est à la fois simpliste et irréaliste étant donné que cette valeur ne traduit que celle de l'apport.

 La problématique de la valorisation des titres sociaux transparait également et de façon inévitable sur le plan fiscal. Quelle assiette retenir pour calculer les plus-values résultant de la cession d'actions de préférence assortie de droits particuliers? Comment déterminer l'assiette taxable des droits de mutation à titre onéreux ou à titre gratuit des actions d'une S.A comportant des actions de préférence? Sous ce rapport la doctrine administrative est attendue avec impatience.

En ce qui nous concerne, nous pensons que la valeur unitaire de l’action de préférence dégagée sur la base de la valeur globale de l’entreprise doit être affinée pour tenir compte des dispositions légales et statutaires ayant pour effet d’entrainer une décote ou une surcote du titre en fonction des restrictions (suspension du droit de vote, agrément, préemption) ou des avantages particuliers qui lui sont associés (dividende majoré et préciputaire, droit de vote double…). La même démarche est préconisée en France par l’Administration Fiscale qui admet une décote d’illiquidité sur des titres dont la cession est soumise à un agrément légal ou statutaire[2]. Cela dit, toute la difficulté réside dans le choix du taux permettant d’accroitre ou de baisser la valeur vénale du titre en fonction de ses caractéristiques.

 A travers cet article, notre propos n'est pas de proposer des solutions toutes faites- nous n’en n'avons pas la prétention-, mais plutôt de susciter la réflexion afin que les uns et les autres puissent apporter des réponses idoines à une problématique qui loin d'être théorique et éminemment pratique.    

 

 

[1] Offre Publique d’Achat

[2] L’évaluation des entreprises et des titres de sociétés, Direction des Finances Publiques, version 2006

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